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17/08/2020

GISÈLE

Minuscule extrait de l'entrevue de Gisèle Halimi et Annick Cojean dans Le Monde n° 23234 des dimanche 22 et
lundi 23 septembre 2019, rubrique RENCONTRE, Je ne serai pas arrivée là si..., p. 27.

Bien entendu, l'article dans son intégralité est passionnant.

« Avez-vous eu l'occasion de défendre la grâce d'un condamné à mort devant le général de Gaulle ?

Oui, le 12 mai 1959, à la suite du grand procès d'El Halia en Algérie.[…] Quand il m'est apparu, il m'a semblé gigantesque.
Il m'a tendu la main en me toisant. Et, de sa voix rocailleuse, il a lancé : « Bonjour madame. » Il a marqué un temps.
« Madame... ou mademoiselle ? » Je n'ai pas aimé. Mais alors pas du tout ! Ma vie personnelle ne le regardait pas. J'ai répondu en le regardant bien droit :
« Appelez-moi maître, monsieur le Président ! » Il a senti que j'étais froissée et il a accentué sa courtoisie :
« Veuillez entrer, je vous prie, maître. Asseyez-vous je vous prie, maître. Je vous écoute, maître. »

 

Les lectures de Roberte Roberte.
(Rediffusion.)

 

14/08/2020

AMER CONSTAT AU MASCULIN

« L’été suivant mon cinquante-sixième anniversaire, je m’aperçus soudain que mon corps avait changé. […] J’avais nagé, moi aussi, et j’étais assis au bord de l’eau, dans mon caleçon de bain noir. En baissant les yeux sur moi-même, je découvris que mes orteils étaient déformés et osseux. Une longue varice était apparue sur ma jambe gauche et la toison clairsemée de mon torse avait blanchi. Mes épaules et mon buste me semblaient étrangement diminués et ma peau, pâle par nature, était devenue rose et  rêche. Mais ce qui m’étonna le plus, ce furent les bourrelets de graisse mous et blafards qui s’étaient installés autour de ma taille. J’avais toujours été svelte et, si j’avais bien remarqué que mon pantalon me serrait de façon suspecte lorsque je le fermais le matin, je ne m’en étais pas spécialement inquiété. La vérité, c’est que je m’étais perdu de vue. Je m’étais baladé avec une image de moi-même tout à fait obsolète. Après tout, quand était-ce que je me voyais réellement ? Quand je me rasais, je ne regardais que mon visage. De temps à autre, en ville, j’apercevais mon reflet en passant devant une vitrine ou une porte en verre. Sous la douche, je me récurais sans étudier mes défauts. J’étais devenu anachronique à mes propres yeux. Quand je demandai à Erica pourquoi elle ne m’avait pas signalé de si déplaisants changements, elle me pinça la chair près de la taille et déclara : « Ne t’en fais pas, mon cœur. Je t’aime vieux et gras. » Pendant quelque temps, j’entretins l’espoir d’une métamorphose. J’achetai des haltères à l’occasion d’une sortie à Manchester et je tentai de manger plus de brocolis et moins du rosbif que je trouvais dans mon assiette, mais la résolution me manqua bientôt. Je n’avais pas assez de vanité pour endurer les privations. »

 

Siri Hustvedt, Tout ce que j’aimais, (Actes Sud, 2003),
Babel, 2013, pp. 143-144.

 

Les lectures de Roberte Roberte. OK, le livre est écrit par une femme.
(Rediffusion.)

16:46 Publié dans Blog, Lecture, Vieilles peaux | Lien permanent

08/07/2020

RETOUR SUR UN MÉTIER D'AVENIR

« JEUNE FILLE : Mais, un jour, je me suis renseignée à notre syndicat et j’ai vu qu’il rentrait tout à fait dans nos attributions normales de faire la plupart des choses que nous faisons. C’était il y a deux ans. Je peux bien vous le dire, au fond, nous avons parfois dans notre travail à nous occuper de très vieilles femmes de parfois quatre-vingt-deux ans, et qui pèsent jusqu’à quatre-vingt-douze kilos, et qui n’ont plus leur raison, et qui font leurs besoins dans leurs robes à toute heure du jour et de la nuit et dont personne ne veut plus entendre parler. C’est si pénible que, oui, je l’avoue, il nous arrive parfois d’aller jusqu’au syndicat. Et il se trouve que ces choses ne sont pas interdites, qu’on n’y a même pas pensé. D’ailleurs, même si on y avait pensé, vous savez bien, monsieur, qu’il s’en trouverait toujours parmi nous pour accepter de faire n’importe quel travail, qu’il y en aurait toujours pour accepter de faire ce que nous refuserions de faire, qu’il s’en trouverait toujours qui ne pourraient faire autrement que d’accepter de faire ce que tout le monde aurait honte de faire. »

 

Marguerite Duras, Œuvres complètes,
Vol. II, Bibliothèque de la Pléiade, NRF.
Le Square, trois tableaux, 1961.
Deuxième tableau, p. 478.

Les lectures de Roberte Roberte.
(Rediffusion.)

 

17:50 Publié dans Blog, Lecture, Vieilles peaux | Lien permanent