08/11/2016
LA BOÎTE À CRAYONS
« […] Tant qu’on est encore jeune, on ne comprend rien de la cruauté de ce qui arrive, fatalement. On le sait, pourtant. Mais on ne réalise pas. Comme toutes les jeunes filles, Sylvie pensait que sa beauté était une qualité qui lui appartenait : elle vieillirait, mais elle resterait belle. Être enfermée dans sa peau est devenu une tragédie, une injustice terrible dont elle ne peut se plaindre à quiconque. Très longtemps, elle a cru qu’en s’entretenant, tout irait bien.
Ça s’est arrêté un été. Elle était sous la douche, pour rafraîchir la brûlure du soleil et rincer le sel. En s’essuyant, elle avait été surprise de sentir un peu de sable sous ses seins. Puis l’évidence l’avait frappée. Elle était restée stupéfaite, transpercée d’une flèche invisible. En plein cœur. Elle venait de comprendre : une fois qu’ils tombent il faut penser à les soulever pour les rincer. Le test du crayon lui était revenu en tête – quand elle était petite, les femmes parlaient de ça : si le crayon glissé sous les seins ne tombe pas, c’est foutu. […] »
Vernon Subutex, © Virginie Despentes,
éd. Grasset & Fasquelle, 2015.
in "Le Livre de Poche", avril 2016, T.1, pp. 152-153.
Les lectures de Roberte Roberte.
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03/11/2016
NAUSÉE
« Patrice met la radio et allume son ordinateur. C’est ce qu’il fait tous les matins. Il sait que ça le rend fou. Dans les années 80, quand il a commencé à acheter la presse et écouter la radio, c’était différent. Il y avait des points de colère, mais il avait aussi des journalistes qu’il aimait lire ou écouter. Il y avait des artistes qu’il était content de voir intervenir. Le rapport aux médias n’était pas exclusivement constitué de défiance et d’hostilité. Les commentaires merdiques sur la chute du Mur, la place Tiananmen ou Scorsese qui filmait le Christ se faisaient au comptoir – entre gens qui sont là, se voient, se répondent et s’embrouillent. On ne racontait pas n’importe quoi, furieux d’être anonyme, condamné à sortir la connerie la plus lapidaire possible, renvoyé au silence assourdissant de sa propre impuissance. Aujourd’hui il voudrait y mettre de l’ordre mais il n’y parvient pas. Il ouvre des journaux qu’il n’aurait jamais achetés, à l’époque. Ça lui rentre dans le cerveau, en tentacules empoisonnés, et ça ne génère aucune analyse, juste de la fureur. Une envie d’en découdre, en bloc, une nausée morbide. Il n’a pas envie de joindre sa voix à la cohorte, il n’a pas envie d’ouvrir un blog pour déverser sa bile, il n’a pas envie d’ajouter au flot de merde sa petite crotte de débile. Mais il est incapable de s’arracher à la fenêtre, ouverte. Il a l’impression, chaque matin, de s’asseoir et regarder le monde pourrir. Et des élites dirigeantes, nul ne semble prendre conscience de ce qu’il y a urgence à faire machine arrière. Au contraire, on dirait que tout ce qui les préoccupe, c’est foncer vers le pire, le plus rapidement possible. »
Vernon Subutex, © Virginie Despentes,
éd. Grasset & Fasquelle, 2015.
in "Le Livre de Poche", avril 2016, T.1, pp. 290-291.
Les lectures de Roberte Roberte.
07/10/2016
"J'ai commencé l'attente et l'espérance."
"Je crois aux forces de l'esprit", nous dit-il. Visiblement, il croyait aussi aux "forces de l'amour" — et c'est plutôt réconfortant.
François Mitterrand,
Journal pour Anne, 1964-1970,
Gallimard, 496 p., 45 €.
En librairie le 13 octobre 2016.
(Une lecture à venir de Roberte Roberte).
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