05/01/2013
LES CONFUSIONS DE MADAME JOURDAIN
Je lis et relis Duras, d’abord « Les impudents »1, ensuite « La vie tranquille »1 et j’aborde le barrage2 familier et infichu de résister au Pacifique. Les deux premiers romans m’intriguent un peu en raison de la tendance à la délation de chacune des héroïnes : l’une se venge d’être traitée en marchandise, l’autre, visiblement, s’ennuie. La fille du « barrage », je l’aime bien en sauvage qui affronte les « beaux quartiers » : elle n’a pas « les codes » et j’en suis complètement solidaire. Parvenue au « Marin de Gibraltar »1, je me demande si c’est du Sagan étiré au whisky pur et au vin rouge, je me demande si je vais le poursuivre moi aussi (le marin) jusqu’au bout. Eh bien oui.
Noël interrompt ce tête-à-tête car, une fois n’est pas coutume, j’ai demandé qu’on m’offre le Prix Goncourt 20123. Je me méfie, la dernière fois que j’en lus un, c’était « Trois jours chez ma mère » de Weyergans : il est bien possible que je n’aie rien compris ou qu’il n’y ait rien eu à comprendre. Mais celui-là, je ne l’avais pas commandé.
Quand on a toute sa vie professionnelle essuyé les verres au fond du café, on est un peu surprise que des jeunes gens choisissent, au terme de leurs études de Philosophie, et sous des prétextes futiles, de gérer le bar d’un village corse. Blancs-becs hédonistes, le fonceur et le velléitaire, une sorte de double « je » font retour aux « sources ». Ne pas s’y tromper, et ce n’est pas le moindre plaisir de cette lecture, JE n’est pas seul en tête de gondole. Au village, le grand-père amer regarde quotidiennement la photo de sa mère et de sa fratrie, saisie à la fin de la première guerre mondiale. Les yeux de la mère, bien au-delà de l’objectif, semblent chercher, attendre. Qui ? Le père prisonnier ? L’enfant qui naîtra de l’étreinte du retour ? (Ou Le Marin de Gibraltar ?). Mais Le Marin de Gibraltar, on ne l’attend pas, on le poursuit.
Cette photo m’intéresse : elle est unique. Plus tard, on en aura plein, des photos, on les collera dans des albums comme si on avait l’éternité pour les regarder toutes (au bonheur des brocanteurs !). Et aujourd’hui, on les « stocke ». Mais la photo, celle-là qu’on interroge, celle des espoirs confisqués, celle du regard finalement tourné en soi, le grand-père ne la partage pas et ce qu’il pourrait en dire fait silence avec lui. Meurt avec lui. Et sa petite-fille, archéologue, n’ignore pas que ce qu’elle exhume, là-bas, en Algérie, ne témoigne pas de la vie mais de la mort.
Cependant, nos philosophes de café sont d’habiles gestionnaires - installés. C’est curieusement lorsque l’un d’eux commence à être lucide quant aux conséquences d’une attitude légère et égoïste sur son environnement que survient la chute annoncée. L’autre n'a pas progressé dans la langue insulaire qu’il croyait sienne.
Est-ce un roman d’apprentissage (cruel) ou le témoignage d’un inévitable déclin lié à l’esprit du temps ? « Lisez vous-même », dit Madame JOURDAIN qui fait de la Philosophie sans le savoir : « Le déclin, par rapport à quoi ? ».
(Et il n’est pas de Dieu de Miséricorde.)
1. Marguerite DURAS, Œuvres complètes, Bibliothèque de la Pléiade, 2011.
2. Marguerite DURAS, Un barrage contre le Pacifique, in Œuvres complètes, Bibliothèque de la Pléiade, 2011.
3. Jérôme FERRARI, Le sermon sur la chute de Rome, Actes Sud, 2012.
Roberte Roberte.
10:34 Publié dans Actualité, Blog, Lecture, Philosophie | Lien permanent
01/11/2012
LA VISITE AU CIMETIÈRE
« Il nous emmène en pèlerinage au cimetière d’Ivry parisien. C’est aux portes mêmes de Paris, à deux pas du terminus du métro, mais cela nous semble une expédition. Il est vrai que nous y allons à pied, par économie. Il s’avisera heureusement un jour que ce qu’il gagne sur le prix du transport, il le perd en ressemelages. Nous nous traînons le long d’avenues interminables, nous longeons de hauts murs aveugles. Nous arrivons le ventre creux, la tête vide. Il ne donne pas dans les chrysanthèmes, les dahlias, les hortensias, les plantes en pot sous papier cristal et autres symboles conventionnels du deuil bourgeois. À l’entrée du cimetière, il achète des fleurs, les plus simples possible, c’est son côté Victor Hugo, « un bouquet de houx vert et de bruyère en fleur ». Il prend des marguerites, éponymes de la morte, quand il y en a. À défaut, quelques roses.
Nous avons chaque fois autant de mal à nous orienter, nous errons d’allées en divisions, entre des carrés tous semblables, tirés au cordeau, bordés de monuments dérisoires. La tombe de notre mère est une des seules que n’orne, ni ne somme, ni ne signale une croix. C’est une dalle toute nue. Un prénom, un nom, deux dates en creux. Pas d’ornements, pas de photos, l’austérité même.
Papa n’a pas seulement l’air encore plus sévère que d’habitude – à force de froncer le sourcils, deux rides parallèles se sont creusées sur son front, de part et d’autre du nez – mais presque toujours mécontent. Nous le regardons craintivement, à la dérobée. Il rassemble d’un geste nerveux les cadavres des fleurs qui achèvent de se décomposer – qu’elles datent de notre dernière visite ou que d’autres mains les aient déposées là – et dont les tiges desséchées et noircies font déjà corps avec la pierre. Il expédie l’un d’entre nous les jeter dans le plus proche des bacs, remplis de terre et de débris, prévus à cet effet. De la main et de la pointe du gant, il balaie les poussières et les suies parisiennes qui se sont déposées sur la tombe. Nous l’aidons maladroitement à nettoyer celle-ci des brindilles et des mousses qui s’y sont incrustées. Il dispose, une à une, les fleurs nouvelles. Il s’immobilise enfin, silencieux, au garde-à-vous, nous à ses côtés, également muets, par ordre de taille, calquant notre attitude sur la sienne, mimant le recueillement, surveillant la contenance les uns des autres, et attendant que ça se passe.
Que pense-t-il ? Que pensent mes frères ? Pour moi, je ne pense rien, je n’évoque rien. Le vide. Des moments creux et faux. Quel sens cela a-t-il ? Je n’imagine rien de ce qu’il peut y avoir sous terre. Je n’imagine pas qu’il puisse y avoir quoi que ce soit au ciel. Elle n’est pas ici plus qu’ailleurs. À chaque visite, son visage un peu plus s’efface. Nous l’oublions jour après jour. Pourquoi est-elle partie ? A-t-elle seulement existé ?
Brusquement, ayant compté le temps du souvenir sur la trotteuse de je ne sais quel mystérieux chronomètre, comme ces ordonnateurs de cérémonies officielles qui décident de la durée des minutes de silence, il s’ébroue et donne le signal du départ. Nous le suivons, allongeant le pas et haussant le ton à mesure que nous approchons de la sortie. Nos retours sont immanquablement gais et bavards. »
Dominique Jamet,
Un petit Parisien 1941-1945,
Flammarion, février 2000,
pp. 29-30.
10:28 Publié dans Actualité, Blog, Lecture | Lien permanent
04/10/2012
TU L'AS PRIS, TON MÉDICAMENT ?!
« NOTICE : information de l’utilisateur (extraits)
Description des éventuels effets indésirables :
Arrêtez de prendre le médicament et contactez votre médecin immédiatement si vous avez l’un des effets indésirables suivants :
Symptômes de réactions allergiques sévères tels que :
- gonflement du visage, de la langue, de la gorge,
- difficultés à avaler,
- urticaire et difficultés à respirer.
Réactions cutanées sévères pouvant inclure une formation de cloques sous la peau.
Une inflammation de l’œil, habituellement avec douleur, rougeurs et sensibilité à la lumière.
Une nécrose de l’os de la mâchoire [...]
Des fractures inhabituelles du fémur peuvent survenir rarement [...]
Digestion difficile, nausées, douleur à l’estomac, crampes d’estomac ou inconfort, constipation, sensations de satiété, ballonnement, diarrhée.
Douleurs des muscles, des os et des articulations.
Maux de tête.
Fièvre et/ou syndrome pseudo grippal.
Perte de cheveux.
Troubles hépatiques. »
On est bien d'accord, ça mérite d'être illustré.
RadicÔlibres.
09:41 Publié dans Blog, Lecture, Vieilles peaux | Lien permanent