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27/03/2018

LA SALLE D'ATTENTE

ROGER MARTIN DU GARD
À ALBERT CAMUS 

 

Bellême, 22 juillet 1953

« Cher ami,

[…]

Je pensais faire un séjour à Paris à la fin de juin et je me proposais de vous faire signe. Mais j’ai été retenu ici, plus ou moins allongé, pour ménager ma vieille jambe de phlébitique qui menaçait de faire des siennes. Partie remise… Je m’en veux de me résigner si difficilement à vieillir. Mais la volonté s’use avec le reste, et n’a plus guère de prise sur ce malaise de l’âme, sur ce morne détachement dont je souffre depuis ces derniers mois. Rien à faire contre cette constante impression d’être hors de jeu, ce très profond (et presque tendre) sentiment que « tout ça ne me concerne plus »… Le sentiment qu’on peut avoir dans la salle d’attente, billet pris, bagages bondés, en attendant le train qui va nous emmener pour toujours, lorsque les gens de la ville qu’on quitte viennent vous entretenir de leurs petites affaires. On répond, on sourit, on se prête à la conversation avec une amicale sympathie ; mais « ça ne vous concerne plus »…

Ne vous moquez pas. Hier, moi aussi, pareil langage de vieillard – surtout chez un vieillard relativement bien portant – m’aurait indigné. Il faut déjà être assis dans la salle d’attente, pour comprendre… […]. » 

 

Albert Camus, Roger Martin du Gard,
Correspondance 1944 – 1958,
Édition établie, présentée et annotée
par Claude Sicard, NRF, Gallimard, 2013,
extrait de la lettre 25, pp. 91-92.

(Rediffusion.)

10:05 Publié dans Blog, Lecture, Vieilles peaux | Lien permanent

01/03/2018

DOXA

« L'opinion publique ? Chassez-la cette intruse, cette prostituée qui tire le juge par la manche ! C'est elle qui, au pied du Golgotha, tendait les clous aux bourreaux, c'est elle qui applaudissait aux massacres de septembre et, un siècle plus tard, crevait du bout de son ombrelle les yeux des communards blessés. »

Vincent de Moro-Giafferi,
Avocat, 1878-1956

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25/02/2018

LE RETRAITÉ

« […] C’est une condition comme une autre, et elle porte la marque de la cohérence la plus naturelle, et aussi de la plus naturelle banalité. Tout aspect paradoxal disparaît, une fois qu’on se trouve de ce côté de l’affaire. Un grand dégrisement – c’est ainsi que je pourrais appeler ma condition ; libération de toute charge, légèreté dansante ; vide, irresponsabilité, nivellement des différences, relâchement de tous les liens ; mol étirement de toutes les frontières. Rien ne me tient et rien ne me garde captif ; un manque de résistance ; une liberté sans limites. Une indifférence singulière, grâce à laquelle je glisse, léger, à travers toutes les dimensions de l’existence – cela devrait plutôt être agréable. Cet état sans fond, cette citoyenneté universelle, ce manque, presque, de souci, ce peu d’intérêt aux choses, cette absence de poids ; je ne peux pas me plaindre. Il existe une expression : ne pouvoir réchauffer nulle place. Oui, c’est cela : depuis longtemps, je ne réchauffe plus la place sous moi. »

Bruno SCHULZ,
Le sanatorium au croque-mort,
"Le retraité", p. 217,
L'Imaginaire, Gallimard, 2010.

 

Les lectures de Roberte Roberte. (Rediffusion.)

09:21 Publié dans Blog, Lecture, Vieilles peaux | Lien permanent