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18/11/2015

LUCIE

« Notre collaborateur Jean-François Demay a appris lundi après-midi que son amie Lucie avait perdu la vie suite aux attentats du 13 novembre. Il lui a écrit une lettre, comme une façon de ne pas lui dire au revoir. »*

 

« Lucie,

Tu étais légère. La voix frêle, toujours un peu à bout de souffle. Ne jamais lever le ton, toujours poser ses mots. Rester discrète. Se cacher presque. Les barres de céréales dans le tiroir, les manger par petites bouchées. Lucie, je garderai de toi trois paysages. Le premier, la campagne de Recologne en Franche-Comté, là où tu as grandi. Un endroit un peu mythique où tu retournais peu. Mais je me souviens de t’avoir fait découvrir une chanson de Thiéfaine qui parlait de son enfance et donc un peu de la tienne.

On avait l'âge des confitures,
Des billes et des îles au trésor
Et on allait cueillir les mûres
En bas, dans la ruelle des morts

Et puis il y avait les plages de Thaïlande où tu aurais bien passé toute ta vie, les boîtes, les quartiers chauds, les kathoey. Pour toi, une année sans l’Asie semblait une année perdue.
Mais ta patrie, ton vrai pays, c’était le onzième. Tous ces rades à Parmentier, ces bistrots à Oberkampf, c’était chez toi. Tous ces vins approximatifs que l’on a bus, ces cigarettes que l’on a roulées, c’était toi. Et je vais te dire une chose étonnante Lucie, tu n’es pas morte. Parce que tu es encore là. Partout à chaque coin de rue, sous les plaques, dans les demis, les verres de bière que l’on choque, tu es là. Dans l’espace entre les gens, dans l’air, dans leurs mots, dans leurs clopes, tu es là. Parce que tu es le onzième, de Voltaire à Oberkampf en passant par Jean-Pierre Timbaut. Je le sais parce que quand j’irai là-bas je t’y verrai. Tu es devenue déesse. Et je vais te dire autre chose Lucie, c’est bien que tu sois là et que tu prennes tout l’espace. Parce que d’autres essaient de s’insérer en nous et il faut les chasser. Il faut leur faire la guerre mais pas à la manière des politiciens, laissons les tapis de bombes aux experts. Non il faut les chasser en nous, à l’endroit où ils veulent s’installer, dans notre tête, entre le cerveau et le crâne. Ils veulent être là le matin et le soir et ne plus nous quitter. Hanter nos conversations, (c’est la fameuse Ginette de Luz). Alors quand je pense à toi, à ce que tu étais, il n’y a plus de place pour eux. Le souvenir de ta légèreté les efface. Tu étais simplement la réponse au nihilisme de ces hommes, comme toutes leurs victimes le même jour que toi. Mais ta légèreté face à leur lourdeur, la réponse.
Sauf que je ne peux plus écouter Thiéfaine.

Les enfants cueillent des immortelles,
Des chrysanthèmes, des boutons d'or
Les deuils se ramassent à la pelle
En bas, dans la ruelle des morts »


Lucie est morte à 37 ans,
rue de La-Fontaine-au-Roi

*in Elle, 17 novembre 2015.

09:16 Publié dans Actualité, Blog | Lien permanent

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