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27/10/2015

DE L'ART

Dialogue entre Léo (Enseignant au département d’histoire de l’art de Columbia) et Giles, artiste plasticien (par ailleurs, personnage très glauque du roman)*.

 

[…] « Le sens ne m’intéresse pas. Il faut que je vous le dise, je ne crois pas qu’il ait encore beaucoup d’importance. Les gens ne s’en soucient plus, en réalité. L’important, c’est la vitesse. Et les images. Des acquis rapides sans attention prolongée. La pub, le cinéma hollywoodien, les infos de 18 heures, oui, et même l’art – tout ça, ça revient à faire son marché. Et c’est quoi, faire son marché ? C’est se balader jusqu’à ce que surgisse un truc désirable et qu’on l’achète. Et pourquoi l’achète-t-on ? Parce que ça vous a fait de l’œil. Sinon, on zappe sur une autre chaîne. Et pourquoi ça vous a fait de l’œil ? Parce que ça a quelque chose qui vous a donné un petit frisson. Ça peut être une étincelle, une lueur, un peu de gore ou un cul. Peu importe. C’est le frisson qui compte – pas l’objet. C’est sans fin. Si vous voulez un nouveau frisson, vous allez le chercher. Vous amenez vos dollars et vous achetez de nouveau.

– Mais très peu de gens achètent de l’art, dis-je.

– Exact, mais l’art à sensation fait vendre les magazines et les journaux, et le bruit attire les collectionneurs, les collectionneurs amènent de l’argent, et tournez, manège. Mon honnêteté vous choque ?

– Non. Je ne suis simplement pas certain que les gens soient aussi creux que vous le prétendez.

– Mais, voyez-vous, je pense que creux, c’est très bien. […] Je trouve beaucoup plus choquantes toutes les pieuses prétentions des gens à la profondeur. C’est le mensonge freudien, ça – ce gros pâté d’inconscient que tout le monde trimballerait au fond de soi.

– Je pense que la notion de profondeur humaine est sans doute antérieure à Freud », rétorquai-je. […] »

  

*Siri Hustvedt, Tout ce que j’aimais, (Actes Sud, 2003),
Babel, 2013, pp. 355-356

Les lectures de Roberte Roberte. 

 

09:02 Publié dans Art, Blog, Lecture | Lien permanent

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