03/11/2016
NAUSÉE
« Patrice met la radio et allume son ordinateur. C’est ce qu’il fait tous les matins. Il sait que ça le rend fou. Dans les années 80, quand il a commencé à acheter la presse et écouter la radio, c’était différent. Il y avait des points de colère, mais il avait aussi des journalistes qu’il aimait lire ou écouter. Il y avait des artistes qu’il était content de voir intervenir. Le rapport aux médias n’était pas exclusivement constitué de défiance et d’hostilité. Les commentaires merdiques sur la chute du Mur, la place Tiananmen ou Scorsese qui filmait le Christ se faisaient au comptoir – entre gens qui sont là, se voient, se répondent et s’embrouillent. On ne racontait pas n’importe quoi, furieux d’être anonyme, condamné à sortir la connerie la plus lapidaire possible, renvoyé au silence assourdissant de sa propre impuissance. Aujourd’hui il voudrait y mettre de l’ordre mais il n’y parvient pas. Il ouvre des journaux qu’il n’aurait jamais achetés, à l’époque. Ça lui rentre dans le cerveau, en tentacules empoisonnés, et ça ne génère aucune analyse, juste de la fureur. Une envie d’en découdre, en bloc, une nausée morbide. Il n’a pas envie de joindre sa voix à la cohorte, il n’a pas envie d’ouvrir un blog pour déverser sa bile, il n’a pas envie d’ajouter au flot de merde sa petite crotte de débile. Mais il est incapable de s’arracher à la fenêtre, ouverte. Il a l’impression, chaque matin, de s’asseoir et regarder le monde pourrir. Et des élites dirigeantes, nul ne semble prendre conscience de ce qu’il y a urgence à faire machine arrière. Au contraire, on dirait que tout ce qui les préoccupe, c’est foncer vers le pire, le plus rapidement possible. »
Vernon Subutex, © Virginie Despentes,
éd. Grasset & Fasquelle, 2015.
in "Le Livre de Poche", avril 2016, T.1, pp. 290-291.
Les lectures de Roberte Roberte.
01/11/2016
LES SAISONS ET LES JOURS (QUI RESTENT...)
"Chouette, une lettre dans ma boîte à lettres !" sourit la vieille dame.
Ainsi débutait le courrier :
"FINANCEZ ET
ORGANISEZ
VOS OBSÈQUES"
Une attention dont elle fut émue.
Roberte Roberte.
11:55 Publié dans Actualité, Blog, Vieilles peaux | Lien permanent
01/09/2016
LES YEUX OUVERTS
« Adieu, Leader Honni, adieu, mais faut-il vraiment y croire ? En dehors de la politique, qu’allez-vous pouvoir faire d’aussi gratifiant ? Au moment où je trace ces lignes, vous courez comme un hamster dans une palmeraie prêtée par le roi du Maroc. Combien de temps vous laisserez-nous tranquilles ? Je ne vous imagine pas dans un hamac, fût-il à remous. Alors ? De l’argent à brasser ? Comment pourriez-vous tomber sous l’autorité d’un patron, même s’il était un ami bienfaisant ? Donner des conférences autour du monde pour vous remplir les poches comme MM. Clinton et Blair ? Impossible, Stupéfiante Majesté, puisque vous ne savez pas un mot d’anglais ; pérorer devant un amphithéâtre au Québec ou à l’Alliance française de Belgrade, cela ne rapporte pas un fifrelin. Utiliser vos connaissances internationales et fraîches, rentabiliser votre règne défunt pour causer à des banquiers brésiliens dans un salon d’hôtel new-yorkais ? Peut-être. Déguisé en avocat d’affaires, vous pourriez intervenir entre des émirs et des industriels de l’armement ou du nucléaire, et toucher de grasses commissions. Sans doute, mais le pouvoir et ses facilités vous démangent. Comme un eczéma, ce mal va amplifier, vous allez vous gratter jusqu’au sang en repensant au bon vieux temps, quand un mot, un geste suffisait à faire se courber une armée de valets, prêts à vous faciliter la vie à n’importe quel prix. La politique vous ronge déjà, Sire, et vous commencez dès aujourd’hui une carrière de conspirateur, pariant comme toujours sur l’échec des autres afin de vous valoriser. Pour vous, il n’y a que vous. Vendre des avions, des médicaments ou des centrales, non, il faut être trop discret, presque transparent. Quant à nous, heureusement, nous connaissons désormais tous vos trucs et toutes vos ruses, et j’espère à ma mesure y avoir contribué. J’écris pour que nous gardions les yeux ouverts. »
Patrick RAMBAUD,
de l’académie Goncourt,
Tombeau de Nicolas Ier
et avènement
de François IV,
Grasset, janvier 2013, pp. 14-15,
« Remerciements à feu Notre
Sautillant Monarque ».
Roberte Roberte : une relecture qui fait du bien.
(Rediffusion)
09:11 Publié dans Actualité, Blog, Lecture, Politique | Lien permanent